Humeurs

Et pourtant il faut vivre …

13.11.2015

« Si vous traversez l’enfer, continuez d’avancer »
W. Churchill

On m’a toujours dit que quand ça n’allait pas, il y avait les mots. Qu’il ne fallait pas hésiter à parler et à écrire, pour exprimer ce que l’on ressentait. Que pleurer, libérer ses émotions aidait à se sentir mieux ensuite. Oui, mais voilà, depuis ce week-end, ça ne marche pas. Ma gorge est nouée et les larmes coulent.
Depuis ce vendredi 13, je n’ai de cesse de me répéter, de me convaincre qu’il faut continuer à vivre normalement, comme je l’entends. Mais ça n’a jamais été aussi dur et amer à mettre en application.

Ce week-end de l’horreur, comme pour beaucoup d’entre nous, je l’ai passé scotchée à mes écrans. J’avais ce besoin compulsif d’ingurgiter le maximum d’information. J’ai passé ces dernières heures à faire défiler mes fils d’actualités, à lire quantité d’articles et d’analyses de journalistes, à m’insurger face aux commentaires atterrant de certains utilisateurs de réseaux sociaux reconvertis en pseudos experts géopolitique, à regarder iTélé en boucle, à discuter via Messenger ou WhatsApp avec mes amis et à parler, toujours parler pour tenter d’expier cette angoisse et cette peur qui m’envahissent par vagues.

Parfois, le flot de messages d’espoir et d’amour qui inondaient la Toile réussissait à m’apaiser quelques instants. Cet élan de solidarité quand on est sortis diner le samedi, dans un de mes restaurants préférés (le Paris-Lisboa), dans ce quartier que j’aime tant, Charonne, m’a bouleversée.
Je n’ai de cesse de penser à la souffrance de ces familles qui ont perdu un être cher ou qui sont dans l’attente de ses nouvelles ; je ne peux oublier ces blessés qui se battent pour rester en vie et ceux qui sont hantés à jamais par ce spectacle de l’horreur auquel ils ont assisté. Et surtout je ne peux oublier que ces personnes attablées en terrasses, accoudées au bar entre collègues ou dans une salle de concert à kiffer leur groupe préféré, ce n’était pas moi, ni mes amis, mais c’était nous quand même.
Une demi-heure avant, je me baladais, insouciante, dans ce même quartier. Ce soir, la décision avait été prise de ne pas sortir. Des amis d’amis ont perdu des connaissances, des collègues, et ont eu des proches blessés, et tout ça me désole.

Derrière nos écrans, on a tous vu ces visages radieux et pleins de fougue de ces hommes et de ces femmes. Certains étaient déjà partis, d’autres restaient désespérément introuvables. J’ai passé énormément de temps à suivre minute par minute le fil d’actualité #rechercheparis, dans l’espoir de lire des nouvelles aussi réjouissantes que celles d’Eleonore Bucca.
Ce n’était pas juste des anonymes comme on le lit souvent pour marquer cette opposition avec Charlie. C’était (entre autres) Lola, Valentin, Marie, Mathias, Patricia, Matthieu ou encore Thomas, Elodie et Nicolas; ils étaient graphistes freelance, maitre de conférences, étudiants, avocats, éditrices, ou encore journalistes. Ils étaient la famille de quelqu’un, leur repère et leur ami.

Samedi on s’est tous réveillés avec cette même gueule de bois. Cette sensation que c’était irréel, chimérique, que ça n’était pas vraiment arrivé, que ça ne devait pas arriver. Et pourtant, ces fleurs, ces bougies, certaines marques de cette violence, là, juste-là dans «ma» rue, nous confrontent à cette glaçante réalité.
Et pourtant, pourtant, face à tout ça, il faut vivre. Il faut se relever, car la vie doit reprendre le dessus. 

Alors oui, chère Paris, bien des fois je t’ai critiquée et décriée ; mais voilà, te voir meurtrie me fait réaliser à quel point je t’aime et je continuerai à t’aimer, toi mon premier amour.
Alors pour faire honneur à cet esprit de liberté et de sédition qui te caractérise si bien, je continuerais à me perdre main dans la main dans tes rues étroites chargées d’Histoire, à aimer ces quartiers Charonne et Saint-Sébastien-Froissart, à rêvasser et pique-niquer l’été le long de tes quais, à m’attabler aux terrasses des cafés pour payer mes Cappuccinos 8,50 euros, à rire fort et briser le silence de la nuit, à aimer traverser tes ponts (surtout le pont Alexandre III), à courir après les bus et métros en particulier ceux qui ont l’air d’être les derniers, et puis surtout à me laisser bercer par l’espoir et non la peur, comme me l’avait enseigné il y a longtemps ce livre que je ne lis plus trop.

Prenez soin de vous et de vos proches, et même de ceux que vous aimez moins

source illustration : Robabee
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