Ces derniers temps, la plongée sous glace en apnée était devenue une obsession. Mon but : me challenger dans un cadre idyllique et sécurisé.
Je souhaitais m’immerger dans des eaux glaciales sans pour autant me frotter à une météo extrême comme en Antarctique. La recherche de performance n’étant pas non plus une de mes prérogatives, je voulais éviter l’effervescence d’un événement 100% apnéistes, tel le Päijänne on the Rocks.
Apnée sous glace : le contexteTempérature moyenne de l’air: -1°C (avec des pics à -8°C et 2°C au cours des deux jours d’expédition) |
Avec qui organiser sa plongée sous glace en apnée?
Dès lors, il a fallu chercher. BEAUCOUP chercher.
Si la pratique de l’apnée se démocratise de plus en plus dans les eaux chaudes et tempérées, ce n’est pas la même paire de manche quand il s’agit de trouver une structure avec laquelle plonger sous glace.
J’ai tout tapé, tout tapé oui, et pourtant je continuais à faire chou blanc.
J’ai contacté l’école Fifty Shades of Blue, bien connue et réputée dans l’Hexagone, mais à ce moment-là les autorisations préfectorales tardaient à être délivrées. La pratique de l’ice freediving était assez compromise pour la saison.
J’ai également pris contact avec des écoles en Suède et en Finlande, mais toutes me disaient que la neige n’était pas encore formée (foutu changement climatique) ! Là encore impossible d’avoir une visibilité sur la date de début des festivités sous la glace.
Super…
Pour autant je n’étais absolument pas résignée à abandonner ce projet. Une partie de moi-même me disait de regarder du côté du Canada. C’est d’ailleurs les clichés surréalistes de Geoff Coombs et son ami Andrew (professeur d’apnée certifié AIDA), aperçus ça et là sur Instagram qui m’ont donné envie de m’essayer à la plongée sous glace en apnée.
Et si dans le fond la découverte de l’apnée sous glace n’aurait pas plus de sens si pratiquée avec ces maîtres de l’ice freediving ?
Et puis sûrement un peu comme dans un film de Noël, un miracle est arrivé. Via des stories je découvre qu’ils organisent une Ice Expedition sur deux jours près du Lac Huron, à Tobermory au Canada. L’investissement est hors budget, mais on est dans un contexte pré-COVID. Suite aux restrictions de voyages qui commencent à peser sur certains passeports, le duo essuie désistements sur désistements. C’est alors qu’ils proposent un tarif devenu insolemment providentiel. Ni une ni deux, je bondi sur l’occasion pour être avec l’équipe avec laquelle je souhaitais inconsciemment plonger sous glace en apnée depuis le début !
« Ask and it is given » comme on dit.
Plongée sous glace en apnée : quelles sont les sensations ?
On est en plein mois de février, au coeur de l’hiver canadien. Me voilà à plus de 6000 km de chez moi, en Ontario, sur la péninsule de Bruce, bordée par les eaux gelées du lac Huron.
Ici aussi on me dit que la glace n’est pas aussi exceptionnelle qu’à l’accoutumée (encore toi satané réchauffement climatique) ! Malgré ça, pour moi, pour cette première, elle est parfaite. Exceptionnelle. Remarquable. Elle donnera à mon expérience cette dimension de rêve éveillé.
En raison de l’épaisseur des chaussons, je ne pouvais pas enfiler mes palmes d’apnée habituelles et j’ai dû plonger sous glace avec des palmes de plongée classiques. Pour ceux qui ne connaissent pas la différence, elles sont beaucoup plus petites et offrent moins de propulsion sous l’eau.
Autant dire que j’ai pas mal galéré pour mes canards (technique de mise à l’eau en apnée), quand on sait qu’en plus la combinaison d’apnée était de 7mm, et que j’étais équipée en plus du tandem gants et cagoule.
Et sinon, comment décrire les sensations de l’ice freediving ?
Avec quel mots retranscrire au mieux ce que j’ai vécu ?
Hmm, pas facile.
Non pas facile étant donné que tant d’émotions différentes se mélangent.
L’émerveillement d’abord face à ce paysage blanc endormi, si paisible et silencieux, loin du tumulte de la ville. Le temps semble comme arrêté, ce qui permet je trouve de se recentrer plus facilement et de trouver sa zone de calme intérieure pour débuter son apnée sous glace. Mais face à cette douceur, l’inconfort, la douleur presque, face au froid ne pouvait que mieux contraster.
Comment gérer le froid lors d’une plongée sous glace en apnée ?
Aussi bizarre que cela puisse paraitre, ce n’est pas tant la combinaison qui vous aidera à lutter contre le froid. Alors oui, elle vous aidera grandement surtout si vous n’y êtes pas habitué, mais en vrai le meilleur rempart est le mental. C’est ce qui explique que certaines personnes réussissent avec un peu de pratique à plonger en simple maillot.
Rester en mouvement
Si dans mon cas ma combinaison d’apnée de 7mm m’a été d’une grande aide, le véritable salut m’a été apporté par mon esprit.
Petit rappel du contexte : on est en pleine nature, la température extérieure est de -1°C, celle de l’eau à 1°C tout au plus. Avec Geoff et Andrew, pas de tronçonneuse électrique. Ils ont l’habitude de créer le trou de mise à l’eau à la hache et à la tarière manuelle. Et pour ça il faut bien 45 minutes. 45 minutes pendant lesquelles il faut faire fi des bourrasques qui s’invitent par intermittence, de ses membres qui commencent à s’engourdir. Et pour ça, pas le choix, il faut rester en activité. Sautiller sur place, frapper dans ses mains, tout est bon à prendre. Et lorsque vient le moment de l’ice freediving à proprement parler, la force du mental s’exprime une fois de plus.
Le souffle et la force du mental
Les premières microsecondes, tout semble aller pour le mieux. Et puis, après que l’eau ait imprégné la combinaison, c’est le choc, d’un coup d’un seul : LE FROID. Pas celui que vous pensez connaitre quand on vous parle d’hiver froid lorsque vous vivez à Paris. Non, pas même un froid Islandais expérimenté toute emmitouflée dans des vêtements de saison. Non, non, là je vous parle de FROID. Un autre froid.
Celui qui existe quand une eau gèle en surface, avec une épaisseur de neige telle qu’il vous faut 45 minutes pour créer un trou; le froid qui vous étreint et vous lascère en une pulsation.
C’est comme si un millier d’aiguilles s’enfonçaient avec le même élan symphonique dans votre corps.
Alors le cerveau se met en ébullition: « je veux sortir », « je sors, c’est pas possible ce truc », « mes jambes, il leur arrive quoi ?! ». Cette sensation d’être prise dans un étau glacé qui serre et serre encore. Voilà ce qui arrive. Un capharnaüm dans la tête. Alors, comme je vous le disais, tout se joue à la force du mental. Ah, et aussi au souffle.
Sous l’eau, en apnée sous glace, un paysage hypnotisant
En régulant mon souffle, je parviens à un mieux contrôler le brouhaha dans ma tête et l’inconfort ressenti dans mon corps. Inspire-expire-inspire-expire-inspire… Et puis… le calme. D’un coup.
Combien de temps s’est écoulé? Difficile à dire, mais le silence est là.
Le corps? Il va mieux.
Je baigne dans un trou d’eau glacée, mais ça va. Apaisée, comme acclimatée.
Un canard, quelques coups de palmes et me voilà au fond.
Un fond sableux recouvert d’herbes et une gigantesque épave en bois comme toile de fond. Et vu d’en-bas, un sol de glace devenu ciel givré.
C’est beau et mystique à la fois. C’est addictif.
Sous l’eau, la glace est encore plus captivante. Je ne peux m’empêcher de m’y coller au plus près, de la toucher. Je dévore avec mes sens ce décor immergé, avant de retrouver mon point d’entrée. Remonter à la surface et recommencer quelques minutes après. Voilà, je vis mon rêve éveillée : plonger sous glace en apnée. Je reste là à répéter ce ballet immergé pendant 1 heure – 1 heure 30, avant de recommencer plus tard dans la journée et le lendemain.
Cette expédition aura duré deux jours entiers.
Inoubliable et enivrante. C’était la première fois que je faisais de l’apnée sous glace et surement pas la dernière.
C’est une discipline exigeante, mais avec les bonnes personnes, celles qui ont la connaissance et la technique nécessaires pour qu’elle soit pratiquée en toute sécurité, elle devient juste exceptionnelle. Aussi je compte m’y adonner aussi longtemps que le climat qui se réchauffe me le permettra. 👌🏿
Underwater photography: Geoff Coombs
Apnéiste de sécurité: Andrew Ryzebol
2 Comments
Dan
25 février 2021 at 21:30Sublime !
Les Carnets d'Aurélia
8 mars 2021 at 09:47Merci Dan!