« Africa must wake up ».
C’est ce dont on somme souvent le continent africain de faire, plus ou moins implicitement, plus ou moins explicitement; le fameux réveil qui doit s’opérer.
Pourtant, l’Afrique est déjà réveillée, et plutôt bien même.
Dommage surtout que les gens n’aient pas la volonté de creuser plus, ils s’en rendraient indéniablement compte.
Un milieu particulièrement alerte: celui de la mode.
Oui, parce que lorsque le monde n’a d’yeux que pour les sacro saintes villes de «New York, Londres, Milan ou Paris», Dakar, Lagos, Johannesburg ou encore Kampala n’en demeurent pas en reste. Ces métropoles palpitent avec un potentiel et une créativité folle, orchestrés par l’ingéniosité et le brassage multiculturel de créateurs audacieux.
C’est cette âme que j’ai pu ressentir le jour où j’ai découvert sur Instagram, au hasard des posts, la marque congolaise Uchawi. Hasard ou bien magie. Car quand on sait qu’Uchawi signifie «magie» en swahili, aucun doute à avoir, j’ai été envoûtée dès les premiers instants.
Dans le monde d’Uchawi, le style est versatile, éclectique, chic et urbain. Intergénérationnel et interculturel, les pièces de cette première collection sont le fruit d’un élégant mélange entre des codes d’inspiration occidentale, et d’autres d’inspiration africaine (sweatshirts, tissu en wax, tressages des matériaux…). L’influence militaire de cette COLLECTION N.0 donne plutôt bien le ton: rassembler les styles et renforcer l’allure par le biais d’une identité visuelle forte.
Ajoutez à ça un lookbook shooté à Beaugrenelle, mon parc et mon terrain de jeux préféré, et vous comprenez pourquoi je suis conquise. Si en général les tours de magie ne se dévoilent pas, dans le cas ici présent, je ne pouvais rester sans savoir qui se cachait derrière Uchawi, et comment la magie opérait. C’est ainsi qu’est née mon envie d’interviewer la très inspirante Laetitia Kandolo, la force créative derrière la marque.
À une époque où la mode parait plus froide (de part certains aspects), plus élitiste, plus claniste et plus folle (imputez-lui le rythme effréné des collections), un peu d’ouverture et de poésie ne peuvent faire de mal.
Rencontre donc avec une marque envoûtante, métissée et collective, qui défend et développe le savoir-faire africain en choisissant de produire sa collection à Kinshasa, au sein de l’Institut Supérieur des arts et Métiers.
Oui, là où il y a Uchawi, il y a de la magie.
Entretien.
Comment est né Uchawi? Quand avez-vous décidé de devenir styliste et de lancer votre marque?
Uchawi a vécu en moi longtemps sans avoir « d’intitulé », dès lors que je suis entrée en École de Mode. Cependant je n’y ai pas donné suite. Mais je conservais mes diverses idées dans des notebooks; les traces manuscrites sont toujours plus sûres.
En 2014, je travaillais à l’époque sur plusieurs projets avec Kanye West; je rentrais très tard avec le reste de l’équipe (2H du mat’).
Ce fut le déclic : je réalise que je participe à l’élaboration de collections pour d’autres, que je prends mon temps pour les rêves d’autres personnes…en oubliant les miens. J’ai donc retrouvé des écrits datant de 3ans auparavant et recommencé à travailler sur un Business Plan pendant plusieurs mois. Je lui ai donné un nom: UCHAWI, qui signifie « magie » en swahili.
Styliste? Je le suis devenue presque par hasard. A l’issue d’un stage en bureau de presse je rencontre plusieurs stylistes, je me suis dit « why not »?. Par la suite, plusieurs d’entre eux m’ont offert diverses opportunités pour me forger, me permettant de devenir qui je suis aujourd’hui (Sarah Diouf du magazine Ghubar, Mario Faundez, à l’époque au WAD Magazine, Renelou Padora styliste/costumière pour les Black Eyed Peas, Kanye West…).
Qui est la fille Uchawi? Comment souhaitez-vous que les femmes se sentent en portant vos créations?
La fille Uchawi, c’est une fille qui trouve ses imperfections parfaites. Elle est indépendante, ouverte d’esprit, adore voyager, elle est forte et vulnérable à la fois. Elle se connait et s’écoute. Elle a du caractère et c’est l’élément principal de sa palette de maquillage! Elle pourrait être en pyjama que vous la verriez dans la rue, simplement car elle est toujours à l’aise dans ce qu’elle porte, parce que ce sont SES choix. Elle est Elle. J’aimerais que toutes les femmes se sentent comme Elle: libre et belle. Finalement Uchawi ne s’adresse pas à une femme ayant un style précis. Les pièces sont justement conçues pour que chacune puisse y associer son propre style!
Souvent en Europe, les gens s’imaginent que «marque africaine = marque qui ne propose que du wax». On constate que les plus connues attestent souvent cette idée. Ce n’est pas le cas chez Uchawi. Était-ce un parti pris?
Le but d’Uchawi est d’être une marque africaine qui puisse s’exporter au niveau global, mais également correspondre aux Africains. Est-ce que les Africains en Afrique portent du wax tous les jours? En toutes occasions? Est-ce mon cas?
Non.
Ce que je pense c’est que l’Afrique a toujours eu cette ouverture au niveau « mode », il n’a jamais été affaire de Wax all day, Everyday. Il n’y a qu’à regarder un classique d’Ousmane Sembene pour le constater. Le wax fait parti de l’Afrique, certes, mais il y a beaucoup plus à exploiter qu’une seule matière sur un continent aussi riche que celui-ci. De plus mon but est d’innover en transvasant en « vêtement » ce qu’il se passe dans la société actuelle. Une société où tout se mélange, où les frontières ont disparues. L’Américain souhaite porter du wax quand l’Africain ramène du denim de son dernier trip à NY! Le monde s’échange, se découvre et se mélange.
C’est cette société que j’incarne et que je souhaite représenter à travers Uchawi.
Où puisez-vous votre inspiration? Quelles sont vos influences ? Comment se manifestent-t-elles dans votre travail?
Mes inspirations?…de la musique! Parce que j’ai grandi avec beaucoup de musique et que je travaille dans la musique. J’ai appris à lire les morceaux différemment, je les retranscris en images. Il y a aussi l’architecture et la géométrie. J’ai toujours trouvé cela fascinant; j’adore Luis Baragan, Ricardo Bofil, Andre Putman, Vasery, Buren…et puis la photo, la vidéographie! Sans oublier les voyages et les personnes que j’y rencontre. Tout peut être une potentielle inspiration…Un fruit, par exemple, TOUT!
Tout cela se manifeste dans mon travail au niveau des choix de palettes de couleur, des textures, des angles de photos, des lignes directrices pour les vidéos de pub…
C’est un puzzle dont je construis chaque pièce afin d’avoir tout ce qu’il faut pour raconter une histoire!
Quelle est la pièce indispensable de votre vestiaire?
Un bon sweat. Pour le sport, pour le travail, pour dormir, pour voyager, pour aller se promener…
Quelles sont les difficultés et les meilleurs côtés du métier quand on est jeune créatrice?
Les difficultés? On est quasi seule! Quelques personnes autour, mais, personne ne sait mieux que moi, ce que je souhaite et surtout la façon dont j’ai envie de le faire.
Donc on fait beaucoup de choses seule finalement. Et on y est souvent contrainte également d’un point de vue financier.
Mais j’ai toute la liberté de m’imposer, je ne suis aucune règle, aucun calendrier, je crée simplement comme je veux! Et ça beaucoup de créateurs l’ont perdu!
Parlez-nous de la mode en République Démocratique du Congo. Quelle est la force de la scène mode congolaise? En matière de streetstyle, quelles sont les tendances dominantes?
La Mode Congolaise est paradoxalement présente et absente. On parlera beaucoup du mouvement de la Sape, qui d’ailleurs très intéressant. Les Sapeurs sont tout de même des personnes ayant une forte connaissance en matière de Mode! Vous en seriez étonnés!
Mais finalement à l’échelle nationale la mode est que très peu développée; je parle d’institutions, de marques établies. Bien évidemment certains créateurs locaux sont présents mais rien d’innovant! Pourtant le potentiel y est!
Quelle est l’actualité prochaine d’Uchawi?
La collaboration UCHAWI x KWALEO, un e-shop anglais sur lequel la marque est désormais…
Et pour le reste il va falloir rester connectés sur nos réseaux sociaux!
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